Jazz en piano solo

Mediapart

 16 Avril 2012

Amorcer la semaine en jazz ? Oui, ce plaisir est accessible grâce au journaliste Claude Carrière,  qui publie Piano Solo Legends.

Cette anthologie réunit non seulement les pianistes de  jazz les mieux reconnus mais encore, choisies parmi des siècles d’enregistrements, des œuvres de grande qualité. « Les standards  « Honeysuckle Rose » et « ‘Round About Midnight » interprétés par leurs compositeurs respectifs, quoi de plus simple ? » objecterez-vous. Certes. Mais, outre le fait qu’il ne gâte jamais rien d’entendre Fats Waller ou Thelonious Monk, il est intéressant, plus rare aussi, d’entendre Bill Evans donner Lucky to be me, Dave Brubeck jouer The Duke ou  Hank Jones exécuter Gone with the wind. Un choix véritable, un délicieux divertissement dont il serait dommage de se priver.

 

La parole du jour : «Je me souviens que le premier microsillon que j’ai écouté était le concerto pour hautbois et orchestre de Cimarosa».

« Piano Solo Legends » Sélection musicale de Claude Carrière. Label Cristal Records. Distribution Harmonia Mundi

Commentaires fermés sur Jazz en piano solo Publié dans CD/DVD

Présidentielle : la filière musicale présente ses doléances

Musicologie

On y était | Hadopi, diversité musicale, offre légale étaient au programme d’une table ronde avec les politiques. Le PS a avancé l’idée de quotas sur Internet…

Le 12/04/2012 à 14h51
Odile de Plas

L’ennui guettait, et puis Hadopi est arrivé et l’habituelle guéguerre entre pro et anti a repris, avec son lot d’exagérations et de raccourcis savoureux (« les jeunes internautes qui piratent »). Mercredi 11 avril 2012, la filière musicale, réunie sous une nouvelle bannière, Tous pour la musique, recevait les représentants des candidats à la présidentielle. Objectif de la table ronde : obtenir de leur part des réponses concrètes pour soutenir une industrie musicale frappée par la crise. Terminées les dissensions internes, finies les querelles de clochers entre producteurs phonographiques, éditeurs, producteurs de spectacles et artistes… devant la gravité de la situation (50 % d’emplois supprimés en dix ans, Sony, qui vient d’annoncer 10 000 licenciements dans le monde…), l’industrie musicale fait front commun derrière Hadopi, plus déterminée que jamais à remonter la pente, pour peu que les pouvoirs publics lui garantisse « un cadre dans lequel prendre des risques », expliquait en préambule Stéphan Bourdoiseau, président de l’UPFI (Union des producteurs phonographiques français indépendants). Trois thèmes étaient à l’ordre du jour : amélioration de la diversité musicale dans la médias, développement de l’offre digitale légale, mise en œuvre du Centre national de la musique.

Ce CNM, qui rassemblerait toutes les structures d’aide et de soutien existantes (Centre national des variétés, Fonds d’action et d’initiative rock, Bureau export…) s’apparente à un guichet unique, inspiré du Centre national du cinéma. Comme lui, il serait financé par des redistributions (droits voisins, pourcentage de la billetterie…) et une partie de la taxe existante sur les fournisseurs d’accès à Internet. Confirmé par une loi cadre en janvier 2011, sa mise en place est prévue pour l’année 2013. Son utilité ne fait plus débat dans le monde de la culture, en dehors du Syndeac (représentant des scènes nationales principalement), qui redoute un démantèlement du ministère. Même consensus parmi les partis présents ce mardi (Front de gauche, EELV, Parti socialiste, UMP – invités, le FN et le Modem ne sont pas venus), qui reconnaissent tous l’intérêt du projet. A une réserve près : EELV s’inquiète de la transparence de gestion de ces établissements publics alors qu’un audit vient justement d’être demandé par le Sénat sur les comptes du CNC.

Consensus également au sujet de la diversité, doublé de quelques bonnes intentions : plus de francophonie ! Plus de découvertes ! De vraies émissions de variété ! Un CSA qui jouerait son rôle ! La gauche veut agir en amont (pour avoir de bons programmes, il faut créer le cadre, sortir de la culture de la rentabilité, attribuer équitablement les canaux de diffusion…). La droite en aval, qui titille les producteurs (« A vous de proposer des programmes créatifs : les Victoires de la musique sont décevantes ? Changez-les ! », suggère Franck Riester de l’UMP).

La surprise est venue d’ailleurs, d’une proposition de Christophe Girard (PS) : établir des quotas francophones sur Internet. Pas vis-à-vis de l’internaute (pour trois Beatles écoutés, un Bénabar d’office ?), mais sur les webradios et les mises en avant éditoriales sur les plateformes de distribution et de diffusion (achat ou streaming). « Une façon de diversifier l’offre faite aux internautes », a justifié le représentant du PS, soucieux également de rassurer la filière sur la suppression de l’Hadopi (« Elle sera transformée »). Sa proposition a rencontré un écho plutôt favorable dans l’assemblée. Elle ressemble fort pourtant à un verrou de plus posé sur Internet, avec le risque d’affadir un peu plus sa saveur à mesure que l’offre légale grandit. Quinze ans après la mise en place des quotas à la radio et à la télévision, le bilan est pourtant mitigé lorsqu’on se penche sur les chiffres de la filière. L’industrie musicale française existe encore (elle aurait disparu sans ces quotas, assurent les producteurs de disques), mais la diversité musicale n’a jamais été aussi faible qu’aujourd’hui à la radio et à la télé française, éteignant chaque jour un peu plus la création locale et la curiosité du public. Faut-il y voir un cercle vicieux ?

Commentaires fermés sur Présidentielle : la filière musicale présente ses doléances Publié dans Articles de fond

Hold-up de Sarkozy sur la musique ?

Nouvel Obs

Créé le 12-04-2012 à 16h34

– Mis à jour le 14-04-2012 à 15h07

Bernard Loupias

Par Bernard Loupias

Le président-candidat veut un Centre national de la Musique, dont la mise en œuvre s’accélère. Une initiative qui divise profondément le monde musical. Débat entre trois de ses acteurs.

Débat entre trois acteurs de la vie musicale. De gauche à droite : Patrice Caratini, contrebassiste et compositeur, Philippe Couderc et Jean Rochard, tous deux producteurs. (Illustration David Scrima)

Débat entre trois acteurs de la vie musicale. De gauche à droite : Patrice Caratini, contrebassiste et compositeur, Philippe Couderc et Jean Rochard, tous deux producteurs. (Illustration David Scrima)

Mots-clés : Centre national de la Musique, Frédéric Mitterrand, Nicolas sarkozy, disques, Hadopi, Culture

Tout a été très vite. Volonté de l’Elysée. A sa demande, au printemps 2011, Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, commandait donc un rapport sur le thème “Création musicale et diversité à l’ère musicale”. A priori, vouloir mener une réflexion sur les moyens de pallier les ravages de l’internet pour sauvegarder tout un tissu artistique, humain, et économique en danger de mort, n’avait rien de scandaleux. Cette mission fut confiée à Franck Riester (député UMP, rapporteur de la loi Hadopi), Didier Selles (conseiller à la Cour des comptes), Daniel Colling (fondateur du Printemps de Bourges, ex-directeur du Centre national des variétés, gestionnaire des Zénith de Paris et de Nantes), Alain Chamfort (chanteur), et Marc Thonon (fondateur du label Atmosphériques). Remis en septembre, leur travail (consultable sur le site de la Documentation française) préconise notamment la création d’un Centre national de la musique (CNM) destiné, selon eux, à fédérer et à rationnaliser la “filière musicale”, à l’instar du CNC pour le cinéma.

Fin janvier 2012, le ministre annonce au MIDEM de Cannes la signature d’un accord-cadre en vue de la création du CNM. A cet instant, le monde musical se divise immédiatement. Entre ceux qui voient là l’opération de la dernière chance, et d’autres qui considèrent ce CNM comme le produit d’une conception purement économiste et technocratique de la culture. D’ailleurs, soulignent-ils, les musiciens – principaux intéressés – n’ont pas été consultés. Pour en parler, nous avons choisi de réunir des “acteurs de base” de la vie musicale : deux petits producteurs – Jean Rochard, fondateur du label nato, fermement opposé au projet du CNM, et Philippe Couderc, patron du label Vicious Circle et disquaire, favorable à sa construction. Et un musicien, Patrice Caratini, contrebassiste, compositeur et chef d’orchestre. L’occasion d’un débat très animé, dont voici le verbatim…

[LUNDI] Hold-up sur la musique ?
Né en 1957, Jean Rochard est producteur de disques. En 1980, il a fondé les disques nato, un label de jazz qui a accueilli quelques-uns des musiciens les plus singuliers de ces trente dernières années. (Jean-Baptiste Millot)
[LUNDI] Hold-up sur la musique ?
Né en 1946, Patrice Caratini (ici en 1970) est contrebassiste, compositeur et chef d’orchestre, auteur d’une dizaine de disques. En 1992, il participa activement à la création de l’Union des musiciens de jazz (UMJ). (AFP)
[LUNDI] Hold-up sur la musique ?
Né en 1978, Philippe Couderc est producteur de disques, fondateur en 1993 du label Vicious Circle, basé à Bordeaux, et disquaire à Toulouse. Il a fondé en 2007 la Fédération des labels indépendants (FELIN), dont il est président. (DR)

Jean Rochard, Patrice Caratini, pour quelles raisons vous êtes-vous immédiatement opposés à la création du CNM ?

Jean Rochard.  Voilà un projet d’agence qui consiste à contrôler l’intégralité de l’activité musicale, monté sans aucune consultation, qui vient directement de l’Elysée sans passer par la case ministère de la Culture. D’ailleurs ledit ministre, c’est un secret de Polichinelle, était au début tout à fait contre. Il s’est fait désavouer, puisque c’est un des grands architectes d’Hadopi, Olivier Henrard, qui d’ailleurs avait quitté le ministère de la Culture en 2009 pour mésentente avec Frédéric Mitterrand avant d’intégrer la cellule culturelle de l’Elysée, qui a pris l’affaire en main. De plus, ce truc est parti dans une sorte d’emballement suspect : tout ce qui était à signer l’était toujours dans les 48 heures. Un projet présidentiel sur la culture, ça devrait alerter tout de suite ! Surtout quand on voit de quelle présidence, et de quelle conception de la culture il s’agit. Dans le rapport, il est très peu question de musique, et beaucoup de rentabilité. Et on nous annonce ensuite que l’homme à sa tête sera nommé par le directement par le président. Ce truc, c’est le mariage de Rockefeller et de Staline !

Patrice Caratini. Il faut bien voir que dans cette affaire, on est dans la continuité de la loi Hadopi. A partir du moment où, à quelques mois de l’élection présidentielle, Sarkozy a pris la parole pour annoncer la création du CNM, ce projet était dès lors inévitablement entaché de suspicion. Il s’adresse d’abord à l’industrie musicale, aux gros de la musique enregistrée, aux majors, ainsi qu’aux grosses machines de la production de spectacles. Je n’ai aucun problème avec le business et l’industrie, sinon que je travaille très peu avec eux. Quand j’examine ce projet, je constate qu’il ne me concerne pas. L’industrie, c’est un bout de la musique, et ce n’est certainement pas “la musique”.

Pourtant, nombre d’organisations professionnelles ont signé le protocole d’accord pour la création du CNM…

Patrice Caratini. Au départ, il y a un gros travail de communication de la part des initiateurs de ce projet, sur le thème : “Tout le monde est d’accord, toute la profession nous soutient, on y va !”. Ce qui n’est pas vrai. Quarante organisations professionnelles ou syndicales ont effectivement signé le protocole d’accord. “Ils ont tous signé !”, proclame partout Franck Riester. Eh bien non ! Cet argument ne tient pas : il y a en France une bonne centaine d’organisations, dont dix ont exprimé très vite leur désaccord par un communiqué, et la pétition “Non au CNM !” a déjà recueilli plus de 3000 signatures. La vérité, c’est que beaucoup de gens sont totalement désorientés par ce truc-là, et notamment dans le monde de ce qu’on appelle la “musique savante”. C’est un problème, non ?

Philippe Couderc. Oui, mais les propositions parues dans ce rapport en septembre ne sont que des orientations. Je suis dans la commission “musiques enregistrées”, et je vois bien que tout est ouvert à la discussion…

P. Caratini. Mais personne n’y croit !

P. Couderc. Moi, j’y crois.

P. Caratini. Personne n’y croit ! Et voici la première question que se posent des gens comme moi, mais aussi ceux du classique : comment allons-nous pouvoir travailler ? S’il n’y a plus qu’un guichet unique, si la Spedidam, l’Adami et la Sacem -trois portes où l’on frappe quand on monte un projet- disparaissent, nous, on est morts. Pour l’instant on nous assure que ces organismes vont garder leur autonomie. Pour l’instant… Ce rapport tient un discours purement économique. On y parle d’ ”émiettement”, de “niches” et j’ai expliqué à Didier Selles [Conseiller à la Cour des Comptes, coauteur du rapport, chargé de la mise en œuvre du CNM. Ndlr ] que l’émiettement, c’est formidable : nous vivons des miettes. Il ya 45 ans que je mène une activité artistique qui me satisfait entièrement en vivant de ces miettes. Ces gens n’ont pas compris que les micro-économies sont essentielles pour qu’existe un tissu social, culturel, l’échange avec un public, toutes choses qui n’ont rien à voir avec l’industrie.

P. Couderc. Je ne suis pas d’accord. En ce qui me concerne, je n’arrive plus à vivre de ces miettes…

J. Rochard. Parce que tu es victime des gens qui vont avoir la plus grosse part dans cette histoire.

P. Couderc. Ils l’ont déjà…

J. Rochard. Donc, c’est réglé ! Et ta présence au sein de ces commissions n’y changera rien. Récemment, quelqu’un de favorable à la création du CNC m’a dit : il vaut mieux être à l’intérieur pour lutter. Et il m’a cité comme exemple le cheval de Troie. Formidable ! Rappelle-toi simplement que le cheval de Troie, c’est un mythe, c’est une légende, ça n’a jamais existé. A l’inverse de la bataille des Thermopyles.

P. Caratini. Autre question intéressante : quid de la gouvernance du conseil d’administration de l’Etablissement public industriel et commercial (Epic) qui devra être créé pour le CNM ? Ça, c’est la vraie discussion, qui est d’office remise à l’après-élections. La gauche s’est bien saisie du projet, mais je crois qu’ils n’y comprennent rien.

J. Rochard. Ils naviguent à vue.

P. Couderc. Je n’ai pas la même lecture que vous. Je pense qu’on peut toujours discuter, même si je sais par expérience que c’est parfois très compliqué. Ce que je vois en tant que producteur, c’est que depuis qu’internet a déboulé avec son lot d’avantages mais surtout de problèmes comme la piraterie, on ne s’en sort plus. C’est un problème majeur. Ca fait vingt ans que je sors des disques, et ça devient extrêmement difficile de les diffuser, de les faire entendre. En 2004, on a commencé à monter des fédérations de producteurs parce qu’on ne se retrouvait pas dans les syndicats existants, dans leurs manières d’agir, alors qu’on avait de plus en plus de problèmes. Des problèmes devenus suraigus parce que la Fnac réduit ses rayons et qu’il y a de moins en moins de disquaires. On a alors frappé à des portes à droite à gauche, et pendant des années, on ne nous a jamais écoutés. La dernière mission en date, c’était celle de Zelnik. Il en est sorti quoi ? La carte musique, qui est un échec retentissant. Et basta. Puis cette nouvelle mission est arrivée. Là, on nous a reçus, et, pour la première fois, on a pu déballer notre discours de producteurs indépendants qui défendent des esthétiques marginales, et une vision différente de celle de la grande industrie. C’est un premier point. Je n’avais non plus jamais vu un rapport qui parle autant des labels indépendants, des disquaires et des radios locales, avec des moyens à la clé pour les développer.

A ce propos, on y lit que des aides automatiques iront prioritairement aux grosses compagnies de disques ou de production de spectacles…

P. Couderc. Encore une fois, ce ne sont là que des propositions, que nous sommes en train de négocier, notamment en demandant que ces aides soient également accessibles à de petites structures. C’est pour ça que je me bats, que je viens toutes les semaines à Paris travailler sur ces questions – et je ne suis pas le seul, heureusement. Avoir une écoute qu’on avait jamais eue et construire quelque chose, ça m’intéresse. Peut-être qu’effectivement, quand ça sera fini, on constatera que ce truc est complètement déséquilibré en faveur de la grosse industrie. Pour l’instant, je ne peux pas me prononcer. Mais si nous ne sommes pas d’accord avec ce qui sortira de ces travaux, nous aurons toute liberté de le dire. De toute manière, au stade où nous en sommes, nous, les labels indépendants, il n’y a plus grand-chose qui puisse nous arriver, à part arrêter. Mais en attendant, j’ai envie de batailler.

En raison de la politique des majors dans les années 1980, qui ont alors tout misé sur la grande distribution, il ne reste plus que 150 disquaires indépendants en France, contre vingt fois plus à l’époque. De plus, il n’y a pas eu de loi pour imposer un prix unique du disque, comme cela a été fait pour le livre, avec la loi Lang…

J. Rochard. Les gens du livre ont une organisation complètement différente de ceux la musique, ou même du disque. Le prix unique du livre n’est pas sorti d’un chapeau comme ça: il leur a fallu se battre pendant des années pour l’obtenir. Dans le disque, les gens sont complètement incapables de faire ça. Les majors comme les indépendants, qui, on le voit encore aujourd’hui, copient les majors pour le pire.

P. Couderc. Tu ne peux pas dire ça, je ne copie rien du tout !

J. Rochard. Mais tu t’impliques là dans un fonctionnement qui t’est dicté : tu n’es pas à la source de ce projet.

P. Couderc. Evidemment ! Mais ce n’est pas pour ça que je m’interdirais d’essayer d’agir…

J. Rochard. Tant que tu y es, prends ta carte à l’UMP pour “faire bouger les lignes” …

P. Couderc. Il n’en est pas question. Simplement, chaque semaine, j’avance des propositions, et il y a des gens  – dont Selles – qui sont là pour nous écouter, nous poser des questions. Une porte s’est ouverte, une place nous est donnée : je ne peux pas me résoudre à rester à l’extérieur en disant d’avance que ça va être tout pourri.

P. Caratini. Si on ne parle que du disque, cette discussion ne m’intéresse pas. La musique existe en dehors de l’enregistrement, c’est un art millénaire, et autant le cinéma est né avec la civilisation industrielle, autant la musique n’a rien à voir avec ça. Quelle est la place de la musique dans une société ? En quoi une civilisation bénéficie-t-elle de la richesse de sa musique à une époque précise ? Regardons ce qui s’est passé à la Renaissance, à l’époque du baroque ; regardons le jazz aux Etats-Unis, peu importe. Quand je vois qu’on crée un machin qui s’appelle Centre national de la musique, qui a priori relève du service public, je m’attendrais à ce que ceux qui l’élaborent se posent ce genre de questions, ce qui n’est pas le cas. La question de l’industrie existe, mais en ce qui me concerne, depuis trente ans, je l’ai vue se débarrasser progressivement des musiciens. Aujourd’hui, si tu veux enregistrer un orchestre symphonique, tu vas à Sofia. L’hymne de campagne de Sarkozy a été enregistré par un orchestre bulgare…

Le CNM, un service public ?

P. Caratini. Il se trouve que je viens de rencontrer en quelques jours deux hommes clés de ce projet : Daniel Colling, fondateur du Printemps de Bourges, ex-directeur du Centre national des variétés (CNV), aujourd’hui gestionnaire des Zénith de Paris et de Nantes, dont, au hasard, Pinaud et Lagardère sont actionnaires ; puis Didier Selles. J’ai demandé à Colling : mais où est le service public dans votre machin ? Les orchestres symphoniques ? Le baroque ? La musique contemporaine ? Il m’a répondu : ces gens-là, on s’en fout. J’ai senti là un esprit revanchard. Et qui va contrôler tout ça ? Quelle sera la composition du conseil d’administration ? Il n’y aura que des représentants de l’Etat, m’a-t-il dit. Réponse de Didier Selles deux jours plus tard : “Pour l’instant, on ne sait pas, on verra”. Là-dessus, j’entends dire que le Syndicat des musiques actuelles, une des quarante organisations professionnelles favorables au CNM, aurait fait supprimer les mots jazz, contemporain et classique de l’accord-cadre ! Si le SMA a signé, c’est forcément qu’on lui a donné des billes. Il faut être logique : s’il y a des organisations professionnelles dans ce conseil d’administration, c’est qu’on ne sera pas dans le service public, et tu auras Universal à la table…

P. Couderc. Je veux bien, mais s’il ne se passe rien aujourd’hui, nombre de labels, dont le mien, vont très vite mourir. Autant essayer de survivre…

J. Rochard. Mais tu ne vas pas survivre avec ces gens-là !

P. Couderc. Tu n’en sais rien !

J. Rochard. Mais bien sûr que je le sais !

P. Couderc. Parce que tu as des certitudes figées…

J. Rochard. Elles sont au contraire très évolutives…

P. Couderc. Les miennes aussi. Et si Colling a produit le rapport, c’est Selles qui construit le CNM. Colling n’est pas dans les commissions, toute la différence est là.

J. Rochard. Le concept d’export du Zénith inventé par Colling, c’est dans le rapport. Ça te parle comment, ça ?

P. Couderc. Ce n’est pas ce qui m’intéresse prioritairement.

J. Rochard. Mais eux, si. Les gens qui sont derrière ce CNM ne s’intéressent pas à ce qu’on fait. Colling ne s’intéresse pas à ce qu’on fait, c’est clair.

P. Couderc. Mais je te le répète : il n’est pas à la tête du CNM.

J. Rochard. Il a écrit le scénario…

P. Couderc. Le scénario c’est une chose, faire le film, c’en est une autre…

P. Caratini. Si tu construis un outil nouveau pour une politique de service public, tu te poses la question des gens qui le font. Et à ce titre, on ne peut pas dire que Daniel Colling soit neutre.

P. Couderc. Pour l’instant, je fais confiance aux gens qui le construisent. C’est le pari que je fais. On va peut-être perdre, ou à moitié gagner, je n’en sais rien. En tout cas, je ne peux pas me résoudre à regarder pour critiquer plus tard. Je refuse de partir battu d’avance.

J. Rochard. Arrête ! Je crois qu’on est un certain nombre de gens à ne pas nous contenter de regarder et de critiquer. Il y a beaucoup de gens dans le milieu de la musique qui ont été très actifs depuis longtemps, et les tours de table autour de la musique, ça ne date pas du CNM, j’en sais quelque chose.

P. Caratini. La vraie question, c’est ce qui va se passer après les élections. Pour l’instant, Selles pilote le truc, et c’est quelqu’un contre qui je n’ai pas d’a priori, qui est plutôt cultivé. Mais dans quelques semaines, selon le résultat au soir du 6 mai, le conseil d’administration du CNM ne sera pas le même, j’en suis persuadé. Il s’agira alors de savoir si on va avoir dans ce conseil d’administration un certain nombre de gens qui ont des intérêts particuliers à défendre. Je te rappelle que quand Colling était président du Centre national des Variétés, le CNV balançait des subventions aux Zénith et au Printemps de Bourges. Tu vas me dire, des conflits d’intérêts, il y en a partout, et je sais bien qu’on est dans un pays où la Caisse des Dépôts et consignations, qui est censée protéger l’épargne des Français, est actionnaire de la maison de disques Naïve qui produit les disques de la femme du président de la République. Là, il y a quand même un souci, non ? Un autre problème, c’est qu’on n’a plus de ministère de la Culture digne de ce nom. Il n’y a pas de direction, pas de vision, pas de projets. Et ça fait des années que c’est comme ça. En plus, il y a cette histoire de «musiques actuelles”, c’est un des plus gros bordels conceptuels de ce ministère. On est le seul pays au monde à avoir inventé une connerie pareille.

J. Rochard. Et le pire, c’est que les acteurs de la musique s’emparent de ce terme, comme de celui de “filière musicale”…

P. Caratini. Et même s’il y a là-dedans des choses intéressantes, il est quand même très grave de faire croire à des gamins qu’ils vont pouvoir monter un groupe et gagner leur vie avec ça.

P. Couderc. Non, ça, c’est TF1.

P. Caratini. C’est une blague? Va voir ce qui se passe dans les conservatoires, qui à ma connaissance relèvent de l’Etat. On y monte des départements de “musiques actuelles” avec des gens qui ne savent ni lire ni écrire. Le “groove”, très bien, mais si tu ne connais que ça, tu vas où ? Une vie de musicien, ça suppose une formation très pointue, et avec ce truc plein de gens vont se casser la gueule… Ce que je veux dire, c’est qu’on a besoin de sens. Or, avec ce projet de CNM, on est dans une logique purement économique.

P. Couderc. Non. On y parle aussi de diversité des esthétiques, et ça, ce n’est pas de l’économie.

J. Rochard. C’est du pipeau…

P. Couderc. Non, ce n’est pas du pipeau.

J. Rochard. Bien sûr que si !

P. Couderc. Si tu mets sur chaque terme une connotation presque politique, on ne peut pas s’en sortir.

J. Rochard. Quand un rapport vient de l’Etat, je suis obligé de mettre une connotation politique à tous les mots.

P. Couderc. Je viens de la région Aquitaine pilotée par Alain Rousset, qui fait partie de l’équipe de campagne de Hollande. Lui et son conseiller sont pour le CNM.

J. Rochard. Il y a au PS des gens qui sont pour l’économie de marché, rassure-toi…

P. Couderc. Il ne faut pas voir tout en noir et blanc…

P. Caratini. Je te parle de principes. La littérature, ce n’est pas l’édition. De même, la musique n’est pas l’industrie du disque.

J. Rochard. Exactement. Quelle est la place de la musique dans la société aujourd’hui ? On n’en sait plus rien. Et ce n’est pas le CNM qui va nous aider à trouver la réponse…

P. Couderc. Alors qui ? Le CNM est un grand projet.

J. Rochard. Mais il a des milliers de projets dans ce pays ! Patrice a tout à l’heure parlé des “miettes”, c’est exactement de ça dont on a besoin : de la reconnaissance de ces “miettes”.

P. Couderc. Je me fous de ces miettes. Je veux pouvoir vivre.

J. Rochard. Moi, je ne m’en fous pas.

P. Caratini. Quand tu crées quelque chose qui s’appelle Centre national de la musique, il faut y faire attention au sens des mots. Si ça s’était appelé Centre industriel de la musique, je n’en parlerais même pas.

P. Couderc. Défendre la diversité des esthétiques, ce que j’essaie de faire avec d’autres, je crois ça va au-delà de ces histoires d’économie.

P. Caratini. Une diversité qui ne s’occupe pas de toute l’histoire de la musique, depuis le baroque, depuis Mozart, Haydn et les autres, ce n’est pas de la diversité. Dire qu’on soutient la chanson, le rap ou l’électro, ce n’est pas ça, la diversité…

C’est de la démagogie ?

P. Caratini. Bien sûr.

J. Rochard. A l’automne dernier, le ministère de la Culture, relayé par le président de la République, a garanti qu’il n’y aurait aucune coupe dans le budget de culture, or il se trouve qu’on vient de nous en annoncer de belles. Et ce sont les mêmes qui te garantissent qu’il n’y aura pas de coupes budgétaires pour la Culture qui font le CNM. Comment peux-tu leur faire confiance ?

P. Couderc. S’il y a un CNC pour le cinéma, je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas un Centre national de la musique…

J. Rochard. Parce que, je te le répète, le cinéma et la musique sont deux choses très différentes ! Le disque, c’est de la duplication ; la musique, c’est autre chose. Et l’économie du cinéma n’a rien à voir avec celle de la musique.

P. Caratini. Et je te rappelle que si les cinéastes furent partie prenante dans la création du CNC, personne n’est allé voir les musiciens. Quand des gens qui prétendent mener une vraie politique musicale se dispensent de rencontrer les musiciens, il y a un problème, non ?

P. Couderc. Ils sont venus te voir…

P. Caratini. Tu rigoles ? Alors que ce projet de CNM est sur les rails depuis un an, j’ai reçu un premier coup de fil il y a seulement quelques jours. Parce que je venais de signer la pétition contre le CNM…

J. Rochard. Tu ne te sens pas un peu manipulé quand tu entends ça ?

P. Couderc. Non, parce que je serai libre de dire que ce truc ne me convient pas, si d’aventure on ne prenait pas nos remarques en compte.

J. Rochard. C’est un peu tard maintenant.

P. Couderc. Non, puisque rien n’est construit. Pour l’instant, je n’habite pas dans cette maison CNM, j’essaie simplement de la bâtir.

J. Rochard. Une maison qui, rappelons-le, n’a plus rien à faire de la musique. C’est quoi, la musique, aujourd’hui ? Juste un gadget qu’on met dans de petits appareils électroniques dernier cri. Un musicien anglais qui a fait beaucoup des séances dans les années 60-70 m’a dit il y a déjà longtemps : le grand rêve de l’industrie musicale, c’est de se débarrasser des musiciens. Eh bien, on y est.

P. Couderc. Sauf que moi, j’en ai marre de subir depuis des années, et là il y a une occasion à saisir …

J. Rochard. Mais tu sais qu’on n’est pas forcé de subir ? On n’a pas attendu le CNM pour faire des choses, et depuis très longtemps. Si en 1972 Didier Levallet [contrebassiste, ancien directeur de l’Orchestre natinal de jazz,ndlr] a créé l’Admi (Association pour le développement des musiques improvisées), c’est parce qu’il était décidé à ne pas subir. On évolue dans un milieu où il y a effectivement des problèmes, où l’on ne se parle pas assez, où il y a eu beaucoup trop d’abandons depuis trop longtemps. L’aide de l’institution reste une redistribution de l’argent du contribuable ou de l’acheteur, elle n’est pas le fait du prince. Elle doit seulement être complémentaire des actions vraiment originales. On n’a pas assez tenu compte de ce qui s’était passé avant les années 1980, avant qu’il y ait des aides de l’Etat. Une époque pendant laquelle beaucoup de gens ont mouillé leur chemise, ont fait vivre des réseaux bénévoles comme les Jazz Action, qui faisaient un boulot formidable. Et ces gens-là, du jour au lendemain, c’est comme s’ils n’avaient jamais existé. A cette marche de l’histoire, je dis : non, merci.

Propos recueillis par Bernard Loupias

Commentaires fermés sur Hold-up de Sarkozy sur la musique ? Publié dans Actualités

Poulenc dans toute sa splendeur

Res Musica

FayardJ’écris ce qui me chante. . Textes et entretiens réunis, présentés et annotés par . Librairie Arthème Fayard. ISBN : 978-2-213-63670-2. 980 pages. Dépôt légal : octobre 2011. Prix : 32 €.

La maison Fayard avait déjà publié en 1994 la volumineuse Correspondance de , sous la houlette de Myriam Chimènes. C’est au tour de nombreux textes ayant traits à la vie musicale et artistique que le compositeur français commit pour différents journaux, mais aussi des entretiens qu’il accorda, de faire l’objet d’une publication. Tous ces textes sont réunis, présentés et annotés par , un travail de longue haleine étant donné le nombre de sources et la période concernée, des années 1920 aux années 1960. Le musicologue a joint à ces écrits la réédition de trois livres de Poulenc devenus introuvables (Chabrier, Entretiens avec Claude Rostand et Moi et mes amis).

À travers ces différents textes de Poulenc, que Nicolas Southon a rassemblé sous des grandes catégories (articles de presse ou parus dans des revues, critiques et comptes-rendus, contributions à des ouvrages, hommages, réponses à des enquêtes, conférences, entretiens), on retrouve l’humour, la légèreté qu’on décèle dans sa musique. L’homme est cultivé et curieux de tout (il évoque également la danse, la peinture, et bien sûr la littérature, s’intéresse aux médias, aux industries culturelles), brillant, a le sens de la formule, de l’anecdote, une ouverture d’esprit, le sens de l’autodérision. De nombreux aspects du compositeur ont beau être bien connus, on (re)découvre avec plaisir l’éclectisme de ses goûts musicaux, Chabrier, le Groupe des Six naturellement, Debussy, Satie, Stravinsky, Prokofiev… mais aussi son intérêt pour la Seconde Ecole de Vienne, surtout Berg, pour Boulez, Messiaen, Dallapiccola… ou pour la chanson (mais pas le jazz). De grandes lignes se détachent : un intérêt pour la jeunesse en général, de l’admiration (qui ne signifie pas forcément adhésion) pour les novateurs, un certain mépris pour ceux qu’il appelle les « suiveurs ».

Même si tout n’est pas du même intérêt, on trouve au fil des pages quantité d’articles amusants sur la forme et/ou alléchants sur le fond. À côté des appréciations sur sa propre musique et sur celle de ses contemporains, notamment des avis surprenants concernant des œuvres (une symphonie de Clémenti, le versant lyrique de Milhaud…) et des compositeurs (Henri Sauguet, Georges Auric, Igor Markevitch…), bien oubliés aujourd’hui, on tombe sur des recettes de cuisine prodiguées à une journaliste lui demandant un article sur la musique ou sur ses réponses à une grande enquête menée par Raymond Queneau en 1956!

La découverte de ces différents écrits (agrémentés d’un appareil critique bien documenté) nous renseigne par ailleurs, au-delà même de Francis Poulenc, sur le foisonnement de la vie culturelle en France dans la première moitié du XXe siècle.
Une lecture fort plaisante et à l’évidence un compositeur écrivain à l’égal des Berlioz, Debussy, Boulez.

Commentaires fermés sur Poulenc dans toute sa splendeur Publié dans Livres

Prokofiev en version semi-poche

Res Musica

Serge Prokofiev. Laetitia Le Guay. Actes Sud/Classica. Paris. 2012. 252p. ISBN 978-2-330-00251-0

Contrairement aux publications des éditions Papillon ou Bleu Nuit, la collection Actes Sud/Classica propose depuis 2004 d’énièmes petits livres sur des musiciens bien connus (parfois trop) qui, dès lors qu’ils ne proposent pas un regard neuf, un angle intéressant ou qu’ils ne prennent pas la forme d’essais esthétiques, peuvent apparaître comme des résumés (voire des ersatz) d’études plus documentées, illustrées et annotées (souvent publiées chez Fayard ou… Actes Sud !). Absence d’exemples musicaux qui confine parfois l’analyse à un vague commentaire de dilettante, quantité négligeable de notes infrapaginales, bibliographie réduite à peau de chagrin et discographie à l’emporte-pièce rapidement expédiées par la rédaction de la « maison mère » (le magazine Classica) forment la substance de la plupart de ces bouquins vite consommés mais pas forcément bon marché.

Dans ces conditions, il est difficile pour Laetitia Le Guay de rivaliser avec la somme publiée par Michel Dorigné en 1994 (Fayard). Il ne faut pour autant pas jeter le bébé avec l’eau du bain car son étude n’est pas dénuée de qualités appréciables. L’intérêt principal du livre réside dans le traitement de la question du retour et de la vie de Prokofiev en URSS après 1932. Spécialiste du monde russe, Le Guay est également l’auteur de l’article «  »L’histoire d’un homme véritable » : Prokofiev dans la tourmente de la « Jdanovchtchina » » paru dans l’ouvrage collectif L’œuvre vocale et dramatique de Prokofiev coordonné par Walter Zidaric (Editions Le Manuscrit). Elle est donc totalement légitime dans l’étude d’un climat politico-artistique dont elle esquisse les contours par d’habiles touches « impressionnistes ». Pour le reste, la structure de l’ouvrage reste assez classique (l’approche est chronologique, ce qui n’est pas le cas de tous les volumes de la collection) et contient peu de surprises. Les appréciations bien senties sur l’esthétique du maître (résumée à « lyrisme, classicisme, modernisme, motorisme »), les anecdotes bien placées (mais dont on ne peut s’empêcher de penser qu’elles empiètent sur l’espace imparti) et une plume agréable à suivre sont les principales vertus de cette introduction plutôt bien troussée. Pour autant, il nous semble difficile de placer ce petit livre au-dessus de la pile d’une bibliographie qui contient d’autres ouvrages bien plus exhaustifs (en français et/ou en anglais). Les mélomanes pressés y trouveront néanmoins leur compte.

Commentaires fermés sur Prokofiev en version semi-poche Publié dans Livres